Just Fontaine : « Pour le prix d'un ongle d'un joueur d'aujourd'hui, je devais me faire une équipe »
Au delà d'être un buteur hors du commun qui a marqué l'histoire du football français et international, Just Fontaine est aussi l'un des artisans de la construction du Paris Saint Germain d'après 1972. Ce PSG redescendu en Division 3 qu'il a fallu remodeler en repartant de zéro. Fontaine arrive dans les bagages d'Hechter un soir de juin 1973 alors que le club est tout juste promu en deuxième division. Durant trois ans, il partagera le banc avec Robert Vicot et contribuera à la renaissance du Paris Saint Germain.
PSG70 : Vous êtes arrivés au PSG en 1973 dans un club en reconstruction. Pouvez vous nous expliquer le contexte de l'époque ?
Just Fontaine : « C'était la première construction du PSG moderne, il y avait Hechter et quelques amis à lui, dont Bernard Brochand qui était à Havas et Charles Talar. Nous étions deux avec Robert Vicot a entraîner l'équipe première qui venait de finir deuxième de sa poule amateur. Mais comme Quevilly n'a pas voulu de l'étiquette professionnelle, c'est le Paris Saint Germain qui est monté. Je peux dire que 15 jours après avoir pris le club, j'étais déjà monté. La première année je n'avais pas de contrat. La deuxième année, RTL venait d'arriver, et dès le premier repas avec le responsable, j'ai compris que ça ne serait pas de la tarte, qu'ils allaient mettre autant d'argent qu'Hechter mais pas assez pour monter une très grande équipe. Pour le prix d'un ongle d'un joueur d'aujourd'hui, je devais me faire une équipe. J'ai fais venir des anciens joueurs que j‘avais connu auparavant et en qui j'avais confiance comme Cardiet, Bade que j'ai connu au Téfécé en amateur, Deloffre, Leonetti et Dogliani qui a coûté un million d'anciens francs à Monaco. J'ai aussi fais venir l'israélien Spiegler du Paris FC, et j'ai dis à Hechter que nous aurions des chances de monter s'il me laissait prendre M'Pelé. Il a accepté, on l'a fait venir de Corse et on est monté. C'était une équipe composée a moitié de professionnels et a moitié d'amateurs. L'amalgame a très vite pris et nous sommes montés aux barrages contre Valenciennes, sans avoir un grand budget. Ce match là était fabuleux. On avait perdu 2-1 là-bas, il fallait donc qu'on gagne avec un but de plus au match retour. On a finalement gagné 4-2 en toute fin de match (c'est durant ce match qu'il s'est écroulé, victime d'une attaque cardiaque). »
Terrassé après le coup de sifflet final, Just Fontaine est alors félicité par Henri Patrelle, Jean-Pierre Dogliani, Jacky Bloch et Jean Deloffre avant d'être porté en triomphe
PSG70 : Le PSG est le premier club que vous avez entraîné, après l'expérience de l'Equipe de France. Quel a été le bilan de cette expérience ? La pression était-elle déjà forte à l'époque ?
J.F : « Pas du tout, on jouait à Saint-Germain, il n'y avait pas de problèmes. On jouait quelques gros matches en levé de rideau au Parc des Princes, mais non, il n'y avait pas de pression la première année en division 2. La saison suivante, j'ai signé un contrat de 3 ans, avec Robert Vicot mais j'ai du partir en 1976 car Hechter a voulu mettre son beau frère à la place. RTL m'avait demandé ce qu'il me fallait pour être champion de France. Mais je savais bien qu'ils ne pourraient pas mettre grand-chose. On aurait pu mieux faire. Nous sommes allés en demi finale de la Coupe de France contre Lens. On gagnait 2-1 à 3 minutes de la fin et on a perdu 3-2. Si on gagnait, on était assuré d'aller en Coupe des Coupes puisque la finale se serait jouée contre Reims qui allait jouer de toute façon la Coupe d'Europe des Clubs Champions. La troisième année, on a fait une super fin de saison, mais ça n'a pas été assez. On commençait pourtant à trouver la bonne formule. Des joueurs comme Piasecki et Humberto commençaient à être bien à leur place. On a gagné à Nantes et à Sochaux alors qu'eux devaient l'emporter pour être champion. »
PSG70 : Quel bilan tirez-vous de vos années à la tête du PSG ?
J.F : « Le PSG n'est jamais descendu en D2 depuis cette époque. Je suis peut être l'entraîneur qui aura eu le moins de moyens financiers dans l'histoire du club, car après, dans la période Canal+, c'était autre chose. J'estime que j'ai fait du bon boulot sans grands moyens. A l'époque, Paris avait une bonne image, celle d'un club jouant un beau football. Il y avait moins le bordel qu'aujourd'hui. Mais c'est l'évolution que connaissent toutes les grandes villes, comme à Marseille. »
PSG70 : Que pensez vous de la situation dans laquelle est le club depuis quelques années ?
J.F : « Il faudrait plus de stabilité. Toutes les grandes équipes, comme le Real Madrid, Arsenal ou Lyon ont les mêmes dirigeants depuis des années. A Paris, on n'est jamais serein. Tous les entraîneurs qui ont tentés de revenir se sont plantés. Je pense à Peyroche (1979-1983 puis 1984-1985), à Vasovic (1976-1977 puis 1978-79), à Artur Jorge (1991-1994 puis 1998-1999) ou à Luis Fernandez (1994-1996 puis 2000-2003), qui, malgré sa victoire en Coupe d'Europe a été limogé par la suite. Moi je ne suis pas revenu, et même si on me l'avait demandé, j'aurai refusé. »
PSG70 : Comment voyez vous l'avenir du club ?
J.F : « Aujourd'hui, avec Cayzac et Le Guen, je pense que le club peut retrouver la stabilité, mais avec les fonts d'investissement américains j'en doute. Il suffit qu'un de ces mecs pète un plomb et décide de tout changer pour que tout tombe à l'eau. Je dis toujours que le club le mieux géré de France est Lyon. Il y a Lacombe, Aulas et à chaque fois un bon entraîneur. Je pense qu'ils seront encore champions pendant pas mal de temps. J'espère que Paul Le Guen va avoir le temps de travailler, d'imposer son style de jeu et des bases solides, qu'il ne se fasse pas virer au moindre résultat négatif, il ne faut pas tout foutre par terre. »
PSG70 : Qu'avez-vous fait depuis votre fin de carrière ?
J.F : « Je suis allé à l'US Toulouse en Division 2 en 1978. Un tout petit club dans lequel le mec le mieux payé touchait 800 000 anciens francs. Puis j'ai entraîné le Maroc en 1980 pendant 2 ans mais nous ne nous sommes pas qualifiés pour la Coupe du Monde, nous avons perdu contre le Cameroun dans des circonstances difficile, puisque je n'avais pas toute mon équipe, il me manquait notamment mon gardien titulaire. Parce qu'à l'époque, il n'y avait que deux qualifiés en Afrique, et non 5 comme aujourd'hui. D'ailleurs, le Cameroun n'a pas perdu un match lors de la Coupe du Monde 82. Ils ont fait trois matches nuls dont deux contre l'Italie, championne et la Pologne qui terminera 3 ème . Preuve que c'était une bonne équipe. Après le Maroc, je n'ai plus eu d'offres, mais je n'ai pas non plus été très demandeur. Je suis aujourd'hui retraité à Toulouse, j'y vis depuis 1965. J'ai des boutiques Lacoste et j'ai quelques fonctions dans les relations publiques, je fais des conférences, des livres… »
PSG70 : Nous ne pouvions pas clore la conversation sans aborder votre célèbre record de 13 buts marqués en une seule Coupe du Monde. Pensez-vous qu'il sera battu un jour ?
J.F : « Je l'emporterai dans la tombe je crois bien (rires). Je reçois d'ailleurs toujours une centaine de lettres par mois par rapport à ça, de Chine, d'Allemagne, d'Europe de l'Est, de partout. Je prends toujours soins de répondre, même s'il n'y a pas de timbres, notamment celles en provenance des pays moins riches. J'ai d'ailleurs un autre record dont on ne parle jamais, mais qui est pour moi tout aussi valeureux, c'est celui d'avoir marqué 30 buts en 21 sélections en équipe de France. Aujourd'hui, lorsque j'entends dire qu'Henry va battre le record de Michel Platini, je voudrais simplement dire que moi, je n'ai marqué aucun penalty ni coup de pied arrêté. J'ai aussi l'une des meilleures moyennes de buts en championnat selon le temps joué. Celui de 34 buts en 26 matches, lors de la saison 1958. Je crois que seul Skoblar a fait mieux. D'ailleurs, Skoblar est pour moi le meilleur attaquant que j'ai vu jouer. Il était très fort. C'est le seul type pour qui je me disais « tiens il faudrait qu'il fasse tel mouvement » et qui le faisait avant même que j'ai el temps de terminer ma réflexion. »
Propos recueillis et retranscrits par Maxime Pousset pour PSG70.free.fr. Merci à Just Fontaine.